La création musicale à l’ombre des algorithmes
Le fantasme de la tabula rasa numérique – un espace où chaque artiste aurait les mêmes chances – s’est étiolé au fil de la décennie. Les algorithmes, derrière leur promesse de personnalisation, dictent insidieusement les trajectoires créatives. Sur Spotify, Apple Music ou Deezer, l’analyse heuristique du comportement des auditeurs (skips, ajouts en playlist, durée moyenne d’écoute, etc.) rebondit directement sur les métriques qui conditionnent la mise en avant ou l’effacement d’un morceau (The Guardian, 2021).
Conséquence ? Plusieurs producteurs et artistes indépendants partagent la même observation : l’obsession du “premier refrain en moins de 30 secondes”, des intros courtes, voire même l’abandon du traditionnel couplet-refrain pour s’aligner sur les schémas plébiscités par l’IA. Une étude menée par l’Université d’Oslo en 2023 note que le format médian des chansons populaires sur Spotify est passé de 4’12 en 2013 à 3’03 en 2022 (Rolling Stone, 2023). L’intro ne dépasse plus 8 secondes dans le Top 50 mondial, contre 22 secondes il y a dix ans.
L’intelligibilité nécessaire à l’algorithme passe souvent par une nivellement du spectre émotionnel, une standardisation rythmique qui déstructure la prise de risque créative. Le geste artistique s’adapte, parfois malgré lui, pour survivre dans la jungle du flux.